Alors que la demande du consommateur évolue vers plus de naturalité et de durabilité, de plus en plus de marques pensent aux cosmétiques solides comme alternative à la réduction des emballages et à la consommation d’eau. Dans quelles mesures la formulation anhydre est-elle possible ?

« Naked », c’est le nom du concept de boutique Lush inauguré à l’été 2018 à Milan, avec pour mots d’ordre : sans emballage et avec uniquement des cosmétiques solides. Depuis, la marque anglaise a ouvert plusieurs points de vente de ce genre à Manchester, Liverpool et Berlin. «Dans un contexte où chacun réfléchit à sa consommation de plastique, les solides permettent de la réduire de manière visible », souligne Claire Maurice, Digital Trainer chez Lush. Avec un premier shampooing solide lancé en 2003, Lush fait …gure de précurseur sur le marché des cosmétiques solides. Aujourd’hui, d’autres acteurs y réfléchissent, comme Yves Rocher par exemple. Quels cosmétiques peuvent être sans eau ? « Pour formuler un cosmétique sans eau, il y a deux possibilités
: retirer l’eau de la formule (comme pour les shampooings, ndlr) ou lui ajouter des géliants ou des solidiants (comme pour les fonds de teint, ndlr)», détaille Fabien Merlaud, Formulation Manager pour le fabricant d’ingrédients Stearinerie Dubois. Mais au-delà de cette définition, plusieurs challenges sont à relever. Dans un premier temps, la formule doit pouvoir « incorporer des liquides dans des bases solides sans qu’ils ne soient rejetés
», précise Fabien Merlaud. Les esters sont ainsi largement utilisés car ils assurent la cohésion de la formule et apporte de la sensorialité au produit. « Parmi notre catalogue de matières premières, nous en avons identité trente, ajoute-t-il, qui assurent les fonctions essentielles aux cosmétiques solides», soit le fondant (Dub Cire H1, Dub Pencil, Dub PTB), la cohésion (Dub Estoline, Dub DPHCC), la douceur (Dub Sis 16, Dub Sogreen), l’étalement (Dub Dipa, Dub Inin) et le toucher léger (Dub Oe Hp, Dub Zenoat). « La formulation des cosmétiques solides reste une formulation à part entière », rappelle Aude Lemoine-Dessaint, coordinatrice Marketing Personal chez Croda.

Préserver les principes actifs

La formulation de cosmétiques solides se doit de garantir aussi l’efficacité des principes actifs. Comment hydrater la peau sans eau par exemple ? « La glycérine peut remplir cette fonction », répond Claire Maurice, Digital Trainer chez Lush. Les formulateurs utilisent des beurres pour soigner la peau, mais aussi des huiles essentielles, des cires… pour une nouvelle sensorialité. « Nous travaillons sur des “cascades sensorielles” en fonction des différents points de fusion, détaille Fabien Merlaud, par exemple faire en sorte que le produit ait de la dépose sans être gras. » Chez Lush, « nous utilisons deux beurres pour notre barre de massage, le beurre de cacao pour la dureté couplé à du beurre de karité pour son côté fondant
», précise Claire Maurice. Mais la sensorialité reste différente des produits liquides, « il faut que le consommateur s’habitue à moins d’étalement ou que le produit soit plus substantif sur la peau », complète Fabien Merlaud. Ainsi galets effervescents, texture pâte à modeler, baume, huile en eau… sont autant de pistes à suivre. Dans un troisième temps, il faut remédier à l’absence d’emballage et garantir leur conservation pendant le transport du lieu de fabrication au point de vente et de la boutique au domicile du consommateur. Forme, texture, résistance à la chaleur et dureté sont essentielles pour conserver les produits. Autre aspect de la question, alors que les formulateurs travaillent sur la diminution, voire la suppression des conservateurs, la conservation de solides est différente. «Chez Lush, les DLC (date limite de conservation) sont courtes, 14 mois contre 30
mois pour les cosmétiques liquides, et commencent dès la fabrication du produit et non dès son ouverture», explique Claire Maurice. Cette différence implique, par exemple, « une excellente gestion des stocks en magasins » (voir page de gauche), signale-t-elle, mais aussi une quantité de produit moindre a… n de s’assurer que le consommateur ait le temps de l’utiliser pendant le temps imparti. Des conditions de production adaptées Formuler des cosmétiques solides demande par ailleurs des outils de production différents de ceux des cosmétiques liquides. Il faut s’adapter aux conditions de production de saponification à froid. « La formule se transforme très rapidement en une pâte qui se fige, et si elle n’est pas coulée “à la trâce”, soit au bon moment, elle risque d’être trop épaisse pour être répartie correctement dans les moules», souligne Franck Peiffer, fondateur de Gaiia, fabricant artisanal de savons et shampooings solides. «Cette condition de mélange nous oblige à produire que des petites quantités à la fois, soit au maximum 450
savons de 100 grammes par batch», ajoute-il. De plus, « le temps de cure (séchage) est d’un mois minimum, ce qui nous oblige à anticiper les montées en charge et mobilise des espaces », complète le façonnier qui réalise 10 000savons par mois. « En gardant une production 100 % faite main, nous pouvons aller jusqu’à 20 000
savons par mois, au-delà nous aurons besoin de plus d’espace et plus de main-d’oeuvre ». Pour les solides, autres que les lavants, « leur fabrication demande de chauffer la préparation
», rappelle Aude Lemoine-Dessaint (Croda). Or, cela consomme de l’énergie et a un impact supérieur sur l’environnement « que des méthodes de fabrication à froid », souligne-t-elle. Au-delà des challenges, formuler un cosmétique solide relève d’une démarche globale et «touche au sens même de la consommation », complète Franck Peiffer. Alors pour répondre à la fibre écologique des consommateurs, les produits et leurs modes de fabrication se doivent d’aller au-delà de la seule suppression de l’eau dans les formules et être en phase avec leurs convictions, c’est-à-dire contenir des tensioactifs bio ou être issus et produit localement par exemple.

Anaïs Engler