Pour toutes les marques, l’éco-conception n’est désormais plus une option. Pour les griffes de luxe, un défi supplémentaire s’ajoute : celui de maintenir la qualité esthétique que les consommateurs attendent d’elles.
Lourd, très décoré
A la fois minimaliste dans son design et très sophistiqué dans sa conception : tel est le profil-type d’un emballage de cosmétiques de luxe. Du moins, cela l’était jusqu’à présent. À l’heure où les marques accélèrent dans le développement durable, poussées par la prise de conscience de plus en plus généralisée des consommateurs, le pack a particulièrement un rôle à jouer, mais il n’est pas question pour les marques de concevoir durablement à n’importe quel prix. « Les emballages doivent être jolis et sont pratiquement considérés comme des beaux objets », explique Gilles Swyngedauw, vice-président marketing, innovation et sustainability d’Albéa. Opérer une transition vers des solutions plus vertes s’avère ainsi souvent délicat : «Ce qui est sûr, c’est que les marques veulent éviter tout impact sur la valeur perçue pour le consommateur. L’éco-conception peut être un sujet compliqué à aborder frontalement pour les marques de luxe, particulièrement celles qui sont installées avec une image et des codes établis, comme des parois épaisses, du marquage à chaud.., complète Sophie Gaspin, directrice commerciale de Texen Beauty Partners, avant de poursuivre, quand elles revendiquent quelque chose du durable, elles ne veulent pas prendre de risque en termes d’image perçue. » Le dé est donc d’allier le beau au durable, le fond à la forme, être en cohérence à la fois avec son univers traditionnel et les enjeux de notre époque.
Quid du plastique ?
L’une des premières et plus importantes pistes de travail consiste à repenser l’utilisation du plastique et sa nature. Le sujet du plastique recyclé est désormais incontournable, « le rPET et le rPP sont des matériaux qui ne présentent aucun risque, avec des résultats esthétiques et fonctionnels équivalents au plastique pétrosourcé jusqu’à un certain pourcentage», explique Sophie Gaspin, directrice commerciale de Texen Beauty Partners, qui ajoute, ce sont des filières sécurisées avec assez de stock pour approvisionner le marché ». Même son de cloche du côté de Cosmogen, «on peut mélanger PP et rPP à hauteur de 50 %. On utilise aussi de plus en plus le PET car c’est une matière transparente à l’état vierge et en recyclé », complète Christophe Benigni, directeur technique. Et, preuve que le champ des possibles en matière de recyclé est large, Aptar a mis au point Mezzo Eco (1), un modèle airless composé à 25 % de fibres recyclées. À destination du soin visage et du fond de teint, le flacon recyclable a été labellisé Ecocert et ne contient ni pièce en métal ni silicone. À l’image des formules courtes côté ingrédients, le monomatériau peut être une piste, même s’il se prête plus à certaines fonctionnalités que d’autres, comme les applicateurs. Texen a ainsi mis au point à destination des formules liquides un applicateur (5) avec micro-injection de picots en élastomère thermoplastique (TPE) qui permet de se passer de fibres de flocage, mais aussi de colle. Le fournisseur a aussi développé des boîtiers de maquillage injectés en une pièce dont la goupille en fer a été remplacée par une charnière lm en plastique, ce qui permet de supprimer en outre une étape d’assemblage lors de sa fabrication. Le monomatériau peut aussi s’appliquer aux recharges, une autre possibilité pour rendre un emballage plus durable.
Moins de plastique
Se pose aussi la question d’utiliser moins de plastique : « Cette tendance qui vient de l’alimentaire s’applique bien aux systèmes de fermeture, avec des capsules-services plus plates, ce qui peut donner un design plus di érenciant en linéaires », explique Patrick Bousquel, directeur marketing soin et maquillage EMEA chez Aptar. «Hors tubes, il est facile de réduire d’une vingtaine de pourcent la quantité de plastique sur un pack initialement épais comme un pot ou un capot. Il faut toutefois faire attention aux défauts d’aspect qui peuvent être plus visibles quand on réduit fortement les épaisseurs», avertit Christophe Benigni, directeur technique de Cosmogen (4). Texen a investi dans ce domaine en acquérant l’exclusivité du procédé Mucell l’an dernier : utilisée dans les poignées de valise, la technologie consiste à injecter du gaz dans le plastique pour combler la matière, ce qui permet d’en utiliser moins tout en garantissant le même niveau de résistance.
Gare aux finitions
Quant aux finitions, un aspect sur lequel les marques de luxe sont particulièrement exigeantes, il existe aussi des pistes pour les rendre plus éco-responsables. « Les miroirs en verre et tout ce qui leste un pack font partie des principaux points noirs », concède Sophie Gaspin, directrice commerciale de Texen Beauty Partners. Pour le premier, il n’y a pas encore d’alternative plus verte, si ce n’est faciliter son démontage à la n de l’utilisation pour permettre la recyclabilité de l’emballage. Pour le second, des ébauches de solutions émergent comme l’injection de charges minérales directement dans les matières premières, lester avec des co-produits comme des coquilles d’amandes ou d’huîtres. En outre, certaines techniques de décoration sont plus polluantes que d’autres et appliquer un parachèvement non adapté à un emballage éco-conçu pourrait en annuler tous les bienfaits. « Le noir de carbone par exemple qui est teinté dans la masse empêche toute identification des matériaux au centre de tri. Chez Albéa (2) (3), nous avons développé un noir qui n’absorbe pas les rayons infrarouges et permet une bonne détection, explique Gilles Swyngedauw, avant de poursuivre, le rendu esthétique est un noir profond. Il n’est pas aussi intense qu’un noir de carbone, mais l’on s’y rapproche et de nombreux clients s’en satisfont. » Une autre piste : limiter les techniques de décoration qui «chargent» le pack comme la métallisation et les vernis. « Ce n’est pas possible tout le temps, mais nous proposons quand nous le pouvons de la gravure en relief ou de la décoration au laser qui habille un habillage sans devoir ajouter quelque chose sur la pièce », explique Christophe Benigni.
Le critère environnemental incontournable pour les clients
L’étude shopper réalisée par Action Plus et Citeo (ex-Eco-Emballages) cet été auprès de 500consommateurs révèle les aentes principales de ces derniers concernant l’emballage de luxe. Pour huit consommateurs sur dix, il est un élément distinctif : il doit être esthétique, permettre l’identification d’une marque forte tout en assurant une bonne protection du produit. Et, pour près d’un consommateur sur quatre, il doit aussi être un emballage respectueux de l’environnement. L’étude souligne qu’il s’agit d’un critère d’arbitrage particulièrement chez les moins de 35 ans : 89 % d’entre eux, contre 79 % du panel global, affirment qu’ils pourraient se détourner d’une marque de luxe si le pack se révélait non respectueux de l’environnement. Pour eux, ce critère environnemental doit implicitement faire partie de l’expérience de l’achat luxe, et 97 % des sondés considèrent que c’est aux fabricants des produits de luxe d’agir afin d’assurer l’éco-responsabilité de l’emballage.
Jessica Huynh