Bien qu’issu du bois, présent en Europe, et du carton recyclé, la fibre qui sert aux packagings secondaires augmente aussi. Les marques doivent se montrer patientes sur les délais.
Comme beaucoup de matières premières, le prix de la pâte à papier a bondi : + 40 à 50 % pour la fibre vierge, qui sert ensuite à confectionner les emballages premium et les corets luxe, selon l’estimation du syndicat professionnel Copacel, qui regroupe la petite centaine de cartonniers fournisseurs des fabricants d’étuis et emballages finis. La fibre augmentant, le marché devient tendu pour les transformateurs du packaging carton. Comment les acteurs gèrent-ils cette hausse ? : « Comme on peut. Il ne faudrait pas que ça dure trop longtemps.», souffle le patron d’une PME normande, qui est pourtant assailli de commandes. C’est le paradoxe, alors que les carnets de commandes se remplissent depuis le début de l’année, les coûts deproduction s’envolent. « Depuis le début de la crise début 2020, tous les postes ont augmenté. Aujourd’hui, le marché reste porté par la forte demande chinoise. Les prix ne vont pas baisser tout de suite », résume Paul-Antoine Lacour, délégué général de Copacel, le syndicat professionnel des cartonniers qui alimentent les papetiers et les fabricants d’étuis, boîtes et corets. Pour autant, cette flambée des prix de la matière première a atteint « un plateau », veut croire Paul-Antoine Lacour. On aurait pu penser qu’avec le recul de l’épidémie, les indicateurs allaient retrouver des eaux plus calmes. Au contraire, « la situation s’aggrave depuis la rentrée de septembre », constate Bruno Lefebvre, directeur commercial groupe Verpack, qui a réalisé les derniers corets de Noël de Caudalie et Yves Rocher entre autres.
Un secteur exposé aux prix de l’énergie
Pour les fabricants d’emballages secondaires, l’un des postes les plus observés, c’est celui de l’énergie : +136.% pour le cours du gaz en général depuis le début de l’année. Ce qui pousse les industriels du carton, très consommateurs d’énergie pour sécher la fibre, à se convertir rapidement à la transition écologique. Quand ils ont les moyens de le faire. Le leader mondial du carton DS Smith vient par exemple d’ajouter un second méthaniseur pour son usine près de Rouen pour un investissement de 7,50 M€. Au-delà du gaz et du pétrole, les palettes pour le transport des bobines ou des feuilles ont pris 120 %; les films pour pelliculer les lots, puisque leur prix dépend des cours du pétrole, s’enflamment aussi. « Nous utilisons de la colle pour lier des feuilles, elle a aussi augmenté », énumère Catherine de Colbert, codirigeante de la Cartonnerie Oudin, une PME de 90 salariés qui fournit des feuilles rigides aux fabricants d’emballages de la beauté, du luxe.
Comment ces industriels vont-ils absorber ces hausses, qu’ils ne peuvent pas répercuter mécaniquement à leurs clients ? Ce qui est sûr, c’est que les marges sont en baisse, puisque leurs prix n’ont pas suivi. La négociation sur les prix de vente est « en cours », dévoile Catherine de Colbert, qui préfère rester discrète sur le sujet. Chez Verpack, les prix affichent déjà une progression de «.10 à 15 %.», dit Bruno Lefebvre. Outre le facteur prix, les entreprises jouent bien sûr sur leurs coûts internes. L’un des leaders du marché, l’espagnol Quadpack a traversé la crise en serrant la vis. Cette entreprise cotée à la Bourse de Paris n’a pas versé de dividende cette année. L’entreprise barcelonaise, présente également en Allemagne à travers sa filiale Louvrette, a toutefois poursuivi ses investissements en dotant son usine bois et cartons d’une chaudière biomasse.
Pas de pénurie en vue… quoique
Pourtant la reprise est là. Le leader mondial, l’anglosaxon DS Smith, a annoncé cet été une croissance de ses ventes de 8 % au second semestre de son exercice (octobre 2020-mars 2021). Sur toute l’année, le numéro un du carton a enregistré un chire d’affaires stable de 6.Md€. En revanche, les coûts de production ont grignoté d’un quart son bénéfice opérationnel, à 588.M€. Outre les hausses des matières premières et des coûts de production, le carton souffre aussi de la désorganisation du commerce mondial (lire l’interview d’Irwin Lefebvre, Bolloré Logistics page.15). D’abord parce que tous les fournisseurs de pack veulent du carton sur toute la planète. Cette désorganisation a un impact sur les délais, les quantités, et sur les prix d’achat. « Un prix fixé à la commande n’est pas forcément celui payé à la livraison », témoigne Catherine de Colbert, codirigeante de la Cartonnerie Oudin. Parmi les raisons propres au marché du carton et du papier : « Une grande partie de la fibre vierge vient des forêts d’Amérique latine. Comme la reprise est très forte aux États-Unis, le trafic maritime est capté par les ports américains, il y a moins de cargos pour acheminer cette fibre vers l’Europe.», témoigne la dirigeante de cette PME qui utilise aussi des papiers et cartons recyclés collectés dans un périmètre de 200.km autour de l’usine, dans le centre et l’ouest de la France. Du côté des fournisseurs de matières premières, personne ne veut croire à une pénurie, sans en être complètement sûr. « Les hausses de prix et des coûts de production rendent l’équilibre fragile », nuance Catherine de Colbert. « Tous les transformateurs ont commandé beaucoup plus de carton que les commandes en portefeuille avec l’espoir de se constituer un peu de stock d’avance sur des formats uniques pour servir les clients plus vite», commente Bruno Lefebvre, directeur commercial groupe Verpack, qui ajoute, lucide : « Le problème est que, ce faisant, nous aggravons la pénurie.»
« DEPUIS LE DÉBUT DE LA CRISE DÉBUT 2020, TOUS LES POSTES ONT AUGMENTÉ. AUJOURD’HUI, LE MARCHÉ RESTE PORTÉ PAR LA FORTE DEMANDE CHINOISE. LES PRIX NE VONT PAS BAISSER TOUT DE SUITE. » – Paul-Antoine Lacour, délégué général de Copacel, le syndicat professionnel des cartonniers.
Des délais allongés
De son poste d’observateur, Frédéric Grivot, trésorier de la Fédération du cartonnage et des articles de papèterie (CAP), qui représente 400 entreprises de la transformation, estime que les délais ont doublé de trois à six mois. « Des commandes passées à la rentrée seront livrées en avril », dit-il, confirmant le témoignage de Philippe Benacin, le PDG d’Interparfums, lors de sa conférence devant les analystes financiers en septembre dernier : « Notre deuxième semestre risque d’être mauvais non pas à cause de la demande mais à cause des plans de production ». Pour terminer sur la situation des cartonniers, le géant DS Smith tire toutefois un trait sur le catastrophisme qui a régné un temps sur cette industrie, notamment en Europe. Le centre de gravité de la production s’est déplacé vers l’Asie. Mais la crise de la Covid-19 pourrait bien avoir changé la donne, assure Miles Roberts, le directeur général du leader mondial : « La transition écologique place le papier et le carton en alternative plausible face au plastique », disait-il cet été face aux investisseurs.
– Stéphane Frachet