Perçue comme plus économique, plus écologique et plus transparente, la cosmétique maison attire un public de plus en plus large. Et ce, avec une offre à tous les prix.
Chez Leroy Merlin, le bricoleur du dimanche peut trouver tout un programme d’ateliers en magasin pour relooker un meuble, préparer un mur avant la peinture ou encore apprendre les bases de la menuiserie. En 2018, l’enseigne a inauguré Make It à Paris, un concept store dédié au DIY avec location d’outils et coaching. Depuis 2019, Kiabi teste à Reims des ateliers de couture dans un espace de 100 m2 baptisé L’Atelier. Côté alimentaire, Quitoque racheté par Carrefour en 2018 livre plus de 150 000 repas à faire par semaine, sous la forme d’une box contenant un menu et tous les ingrédients nécessaires pour le réaliser. La beauté n’est pas en reste. L’un des pionniers de la cosmétique maison peut en retracer l’évolution : « Vers 2004 ou 2005, il y a eu une petite communauté de femmes qui s’est formée sur les forums sur Internet pour partager leurs recettes. Mais c’était une cosmétique compliquée, avec plein de phases, de textures, d’ingrédients… Le concept de cosmétique maison était à l ’époque très créatif, mais aussi très complexe », se remémorent Anne-Cécile et Valérie Vausselin, fondatrices de la marque-enseigne Aroma Zone. D’une activité ludique et parfois un peu farfelue, la beauté DIY s’est muée en un mode de consommation qui fait écho chez ceux qui sont en quête de sens et de transparence. « Les envies ont évolué : on est passé d ’un geste original à une consommation plus éthique. La clientèle n’achète pas juste pour s’amuser », constate Dieynaba Ndoye qui a fondé la marque Waam Cosmetics distribuée dans 200 Monoprix et 400 pharmacies.
Les jeunes générations à la pointe
D’une communauté d’initiés, la cosmétique maison, et le DIY de manière générale, touche désormais un public plus large. Selon l’Obsoco (Observatoire société et consommation) avec la MAIF, le marché du « faire » représente- rait 95 milliards d’euros. La plateforme spécialisée I Make (voir ci-dessous) a mené un sondage avec Toluna en juillet auprès de 1 000 femmes qui révèle qu’une Française sur trois a déjà fabriqué elle-même un produit cosmétique. Parmi elles, les jeunes générations sont particulièrement bien représentées puisque 50 % des 18-34 ans sondés ont répondu par l’affirmative. Un constat qui va dans le sens de l’éveil des millennials plus éduqués et plus engagés dans leur consommation. Parmi les raisons citées figurent « pour être certaine de la composition » (60 %), « par conviction écologique » (44 %), « par plaisir de faire soi-même » (42 %) et « pour mon portefeuille »(36 %). « Le DIY permet une consommation en pleine conscience, avec des achats de fond et moins d’impulsion. Le DIY prend une orientation sociétale », résument les sœurs Vausselin. Car le motif pécuniaire lié à la crise économique n’est pas le seul facteur du succès du DIY, il faut aussi noter la quête de sens recherchée par des consommateurs plongés dans un quotidien de plus en plus immatériel : « Aujourd’hui, la plupart des gens exerce des métiers intellectuels, où ils se retrouvent enfermés toute la journée dans des bureaux, sans jamais voir le fruit de leur travail », explique le sociologue Ronan Chastellier cité par Le Monde. « Pour se reconnecter avec le réel, ils sont de plus en plus nombreux à se construire à côté une deuxième vie, plus créative », poursuit-il.
Des ateliers et des conseils
Pour autant, il faut veiller à ce que le consommateur ne se noie pas dans l’océan d’ingrédients bruts disponibles, entre huiles essentielles, huiles végétales ou encore poudres de plantes, qui, s’ils sont mal utilisés, peuvent entraîner des réactions allergiques. En 2015, la Youtubeuse Enjoy- phoenix avait ainsi eu la mauvaise idée de proposer une vidéo pour réaliser un masque à la cannelle en vantant ses propriétés antioxydantes. Or l’épice se révèle dermocaus- tique lorsqu’elle est appliquée directement sur la peau ou en contact prolongé… Aujourd’hui, l’offre DIY dominée par la marque-enseigne Aroma Zone (C.A. 2019 : 89 M€) est souvent accompagnée d’une prise en charge qui peut prendre plusieurs formes. Depuis 2009, le leader propose dans ses boutiques des ateliers thématiques payants et, depuis 2010, des kits comprenant recettes et ingrédients. « Les ateliers sont une porte d’entrée nous permettant de recruter et de toucher un public plus large », soulignent Anne-Cécile et Valérie Vausselin qui précisent que des webinaires (ateliers virtuels) sont en projet. En point de vente, Waam Cosmetics assortit son offre de blocs de fiches détachables tandis que le site de la marque publie régulièrement des recettes sur son blog. Enfin, plus coûteuse, une offre d’appareils émerge en parallèle avec par exemple la marque Romy et sa machine Hylab inspirée des capsules Nespresso pour un soin visage minute. Créée en 2018, la start-up Beautymix se présente, elle, comme le « Thermomix de la beauté ». Son appareil qui permet de fabriquer crèmes, déodorants ou encore des produits capillaires est notamment vendu chez Boulanger et Nature & Découvertes. La marque vient par ailleurs de signer un partenariat avec Briochin pour des produits d’entretien naturels maison, une autre tendance croissante.
Le fait-maison boosté par le confinement
À voir les ruptures de stock sur la farine et la levure, rares sont les Français à ne pas s’être essayé à fabriquer leur propre pain durant le confinement. S’il fallait désigner une tendance qui sort gagnant de la crise sanitaire, c’est le fait-maison, par ailleurs titre du dernier livre de recettes de Cyril Lignac, qui a entre mars et juin rassemblé jusqu’à 2,7 millions de téléspectateurs sur M6 avec l’émission « Tous en cuisine ». Selon Google, les requêtes « faire soi-même », « fait-maison » et « do-it-yourself » ont doublé entre janvier et avril. Côté beauté, les investis- seurs semblent croire aussi à la pérennité de la tendance : la plateforme I Make qui propose une marketplace combinée à des tutoriels a ainsi levé 1,5 million d’euros en juin. Fondée en septembre 2019, la jeune pousse compte parmi les investisseurs les fonds Eutopia et Kima Ventures ainsi que plusieurs entrepreneurs à succès comme Thibaud Hug de Larauze (Back Market) ou Maxime Brousse (Selency).
Jessica Huynh